La Journée internationale de l'infirmière, célébrée le 12 mai, commémore l'anniversaire de la naissance de Florence Nightingale en 1820. Nous nous inspirons ici de l’approche factuelle qu’elle prônait pour mieux comprendre la pénurie de personnel infirmier et envisager des solutions adaptées à la situation en Belgique.
En 2020, l'OMS a affirmé que le personnel infirmier constitue l'épine dorsale des systèmes de santé (1). Augmenter le nombre d'infirmiers au chevet du patient est une mesure rentable à moyen terme pour la sécurité sociale (2).
En Belgique, avec plus de 223 000 infirmiers diplômés, il n'y a pas de pénurie de personnel infirmier. La pénurie se concentre plutôt sur les infirmiers actifs dans le secteur de santé, 60% des infirmiers diplômés seulement (3) ! Outre ce problème de rétention dans la profession, 40 % travaillent à temps partiel, ce qui réduit le nombre d'équivalents temps plein disponibles (4). Une autre source de pénurie est l'absentéisme, qui atteint 11,4 % en 2022 (5). Enfin, l'attractivité de la profession est en baisse, avec moins de jeunes s'engageant dans des études depuis l'extension du cursus (une diminution d'environ 20 % en Communauté française) (3). L'émigration d’infirmiers vers d'autres pays aux meilleures rémunérations contribue à cette pénurie. Et la pandémie de COVID-19 a exacerbé ces problèmes (6). Il n’y a pas tant, pour l’instant, de pénurie d’infirmiers, que de pénurie de conditions de travail décentes…
Rétention et absentéisme
La prévalence du burnout, qui peut expliquer l’absentéisme et l’intention de quitter la profession, est un indicateur de la rétention (4,7). Les données les plus récentes se sont intéressées aux infirmiers des unités de soins intensifs, même si la problématique ne touche pas uniquement ces unités et l’hôpital. La prévalence d’épuisement émotionnel était de 46% ; 43% des participants avaient l’intention de quitter leur emploi hospitalier et 27%, l'intention de quitter la profession… Les conditions de travail influencent fortement ces résultats, et semblent être la clé pour améliorer le bien-être des infirmiers dans les hôpitaux (8,9). Par conditions de travail, on entend la charge de travail, la participation à la politique hospitalière, la qualité des relations médecin-infirmier, le leadership infirmier, etc.
Temps de travail
Le personnel infirmier travaille à temps partiel principalement en raison de deux facteurs. Premièrement, avec plus de 85 % de femmes dans la profession et des inégalités de genre encore fortement présentes, les infirmiers optent pour un emploi à temps partiel afin de concilier plus facilement leur vie professionnelle et leur vie familiale (10). Des ajustements visant à améliorer l'équilibre entre vie privée et professionnelle pourraient améliorer cette situation, comme la mise en place de crèches à proximité ou l'adaptation des horaires en fonction des préférences individuelles. Deuxièmement, la pénibilité du travail explique également le recours important au temps partiel, et les solutions semblent similaires à celles envisagées ci-dessus pour améliorer la rétention. Les nouvelles technologies peuvent contribuer à alléger la charge de travail, pour autant que l'on consulte les professionnels sur le terrain et que l'on investisse dans des programmes informatiques efficaces, avec un soutien adéquat de professionnels correctement formés et en nombre suffisant (11,12).
Attractivité
Plusieurs éléments peuvent améliorer l’attractivité de notre belle profession. Tout d’abord, des campagnes pour en améliorer l’image doivent être réalisées. Les infirmiers doivent également véhiculer eux-mêmes une image moderne de la profession en mettant l’accent sur l’autonomie, l’évolution de carrière et la complexité de notre métier (13), et prendre la parole dans les médias de manière objective et positive (14).
Deuxièmement, l’expérience des étudiants en soins infirmiers doit également être améliorée. Le bachelier en quatre années est long et complexe. Un nombre important d’étudiants abandonnent la profession pendant voire juste après la formation. Il faut mieux accompagner les étudiants en renforçant les équipes pédagogiques et en formant mieux les infirmiers de terrain qui les encadrent. Une certaine culture de la profession doit changer, en arrêtant une forme de maltraitance « historique » des étudiants et nouveaux engagés. Pour casser ce cercle vicieux, les infirmiers doivent se rendre compte qu’ils ont un rôle important à jouer dans l’attractivité de leur propre profession (15). Une attention à la santé mentale des étudiants infirmiers doit être développée à travers les dispositifs pédagogiques mis en œuvre… et cela a un coût auquel il faut consentir (16).
Troisièmement, le salaire est un élément de plus en plus important pour nos jeunes. Scientifiquement, le salaire n’améliore pas forcément l’attractivité et surtout la rétention (17). Le nouveau modèle salarial IF-IC permet de mieux gagner en début de carrière, ce qui améliore l’attractivité. Une meilleure reconnaissance de l’effort de formation initiale et continuée, une amélioration des primes salariales pour les horaires de nuit et de weekend permettraient d’augmenter les salaires des professionnels réellement au chevet du patient, à condition qu’elles augmentent réellement le salaire poche et n’encouragent pas à prendre davantage de temps partiels… donc s’accompagnent d’une amélioration des conditions de travail.
Réforme de la profession infirmière
Les infirmiers réalisent trop d’actes à faible valeur ajoutée en Belgique ! Par exemple, le nettoyage des surfaces et du matériel ou les soins d’hygiène chez des patients chroniques.
Malheureusement, les nouvelles législations sur les aidants qualifiés et les assistants en soins infirmiers ne sont pas assez cadrées, ce qui fait peser un risque sur la qualité et la sécurité des soins des patients. De plus, il serait incroyable de penser de remplacer les infirmiers par des assistants car il est prouvé scientifiquement que le niveau d’éducation des professionnels de santé et en particulier les infirmiers influencent la mortalité des patients (18–20). Il faut soutenir des infirmiers hautement compétents, pas les remplacer ! De plus, des formations sur la délégation des tâches doivent être prévues (21).
Les représentants de notre profession et les professionnels de terrain doivent être plus entendus pour ce qui concerne la profession (22).
Besoins de santé et projections futures
La pénurie infirmière entraîne déjà des fermetures de lits hospitaliers, et les besoins en soins infirmiers seront encore plus importants à l’avenir. Cette augmentation des besoins sera particulièrement marquée dans les maisons de repos et les soins à domicile, ce qui souligne l'importance d'améliorer l'image de ces secteurs d'activité. Selon la Cellule Planification de l’offre des professions des soins de santé du SPF Santé publique, pour répondre à ces besoins et atteindre un niveau optimal d'encadrement pour garantir la qualité des soins, il faudrait 26 117 infirmiers de plus en Communauté française entre 2024 et 2046, et davantage encore en Flandre, ce qui nécessiterait un nombre annuel de diplômés en Belgique supérieur à la moyenne des trois dernières années (23).
Ces besoins futurs en soins peuvent être influencés par des mesures de santé publique, telles que la diminution des maladies chroniques, notamment en renforçant la prévention et la promotion de la santé – également un rôle important des infirmiers -, en réduisant les inégalités sociales en matière de santé et en améliorant l'environnement.
Résumé
Le personnel de santé est l'épine dorsale et l'atout le plus précieux de notre système de santé ; négligé, il en devient aussi le talon d'Achille. Les infirmiers sont le principal goulot d'étranglement pour assurer les soins correspondant aux besoins de la population, actuellement et encore plus à l’avenir. La pénurie infirmière est complexe et multifactorielle, il n’existe pas une solution miracle pour la résoudre mais bien un faisceau d’interventions.
Même si des solutions ont été « bricolées » pendant la pandémie, par exemple en faisant appel à des infirmiers à la retraite ou encore aux étudiants, ce serait une grave erreur de jugement de considérer ces stratagèmes comme des solutions à long terme. C’est pourquoi le KCE exhorte les autorités à mettre en place un plan global pour attirer des infirmiers et pour les motiver à rester dans la profession. Ce plan devrait porter, entre autres, sur une meilleure reconnaissance, une rémunération adéquate, une promotion de la formation ainsi qu’une dotation en personnel conforme aux normes internationales.
Il faut également mettre en place des initiatives pour améliorer la qualité des conditions de travail. La situation générale de la profession infirmière était déjà critique avant la crise sanitaire et ces deux années de pandémie n’ont fait que l’aggraver. Des mesures ont déjà été prises ; certaines utiles, d’autres à l’encontre des demandes du secteur, provoquant sa colère. Il est maintenant temps de passer à la vitesse supérieure pour que les infirmiers puissent assumer pleinement leur rôle essentiel dans la société. Les infirmiers sont un investissement et non un coût !
Derniers commentaires
Donald Vermer
14 mai 2024Bonsoir ,
Est ce que le travail infirmier a été reconnu comme métier pénible ?
Est ce que le salaire infirmier a été vraiment revalorisé par l'IFIC ?
Dr Vermer
Francois Planchon
13 mai 2024Quand on voit les salaires au Luxembourg et encore mieux en Suisse où c'est plus du double par rapport à la Belgique, il n'y a que les infirmiers mal informés ou liés à leur lieu de travail pour des raisons familiales qui ne s'expatrient pas !
Une infirmière A1 débutante dans le canton de Genève recevra environ 4.500€ par mois, et dans le canton de Zurich environ 5.000€ par mois. Evidemment, il faut y parler l'allemand...
Le partage du gâteau des rentrées financières devrait être plus équilibré en Belgique.
Il serait également urgent de prévoir une passerelle de A2 vers A1 réalisable sans devoir cesser son emploi, et sans devoir recommencer les études à zéro...
L'allongement d'1 an des études est arrivé à un très mauvais moment, et la revalorisation aurait dû le précéder: ils serait urgent que les ministères se concertent... et qu'on arrête notre ruineuse et absurde multiplication des niveaux de pouvoir qui absorbe une part trop grande des revenus de l'état !