La santé en réseaux: identifier les besoins en formation

Frédéric ThysLa mutation du secteur de la santé – et en particulier du secteur hospitalier – est engagée. L’ambition est de passer d’une organisation en silo, où chaque acteur se centre sur son champ de compétences et son contexte d’action, à une structuration décloisonnée des soins, au sein de laquelle les différents professionnels et les différentes institutions se coordonnent pour offrir des soins adaptés, efficients et de qualité aux patients. De nombreux projets pour réformer l’ordonnancement des soins voient ainsi le jour. Les professionnels de santé sont-ils réellement armés pour élaborer, accompagner et réaliser ces projets? Le changement de paradigme des soins ne nécessite-t-il pas de repenser aussi la formation des médecins et, plus généralement, des soignants afin que, loin de subir les transformations, ils puissent en être les vecteurs innovants? Le Pr Frédéric Thys (directeur médical adjoint aux Cliniques universitaires Saint-Luc et responsable académique de la formation continue en management médical et des institutions de soins [FSP-UCL]) nous détaille les besoins en formation requis par la transformation de l’hôpital qui, dans une optique de soins en réseaux coordonnés, pourrait devenir un «hub» au sein du système de santé eu égard à sa capacité à déployer des ressources médico-techniques importantes.

 

Une cartographie des changements

Seule une vision claire des transformations en cours, de leur sens et de leurs contraintes peut permettre tout d’abord d’anticiper, puis de structurer les besoins en formation.

«Le monde hospitalier», explique le Pr Thys, «évolue de manière importante, et de plus en plus rapidement, en raison notamment de la réforme de l’État. Sur le plan opérationnel, la transformation de l’hôpital est inévitable. Historiquement, point final du parcours de soins, il évolue pour se positionner au milieu de ce parcours en hub capable de déployer de grands moyens médico-techniques. Dès lors, la sortie corrélative des soins hors des murs de l’hôpital pour s’insérer dans une logique de santé en réseau de soins va modifier considérablement le paradigme de la prise en charge. En amont, la médecine générale aura un rôle encore plus important à jouer, en particulier en termes de prévention, tandis que les structures d’aval seront davantage sollicitées pour favoriser la revalidation des personnes fragilisées et pour diminuer les contraintes qui pèsent sur l’hôpital, son financement et son occupation. De ce point de vue, les contraintes économiques croissantes ajoutent à la difficulté, dans la mesure où elles placent les différents acteurs devant des choix parfois difficiles en termes de stratégie de soins ou de stratégie de déploiement pour les hôpitaux. Enfin, alors que l’hôpital est en pleine mutation et que les contraintes économiques sont plus fortes que jamais, des attentes importantes émergent en matière de qualité des soins, de normalisation des actes médicaux ou d’amélioration de la performance. Elles rejoignent les attentes du public qui, depuis plusieurs années déjà, consulte les rankings hospitaliers – comme on le voit en France – en quête d’indicateurs clairs pour opérer un choix entre les institutions. Ces trois éléments – évolution du monde hospitalier en hub, contraintes économiques et indicateurs de qualité et de performance – constituent les coordonnées de base du contexte évolutif dans lequel se déploieront les soins de santé. Partant, ils déterminent les besoins en formation des professionnels de santé, qui devront élargir leur champ de compétences au-delà de leur profession pour poursuivre leurs objectifs de médecins et de soignants sereinement, mais aussi à la hauteur de leurs attentes dans un monde en pleine mutation.»

 

Des besoins génériques

Ces coordonnées du contexte permettent d’établir les besoins «de base» en formation. «Les besoins en formation sont majeurs», pointe le Pr Thys, «tout d’abord en ce qui concerne le système de soins comme tel, c’est-à-dire les règles qui le sous-tendent et organisent son financement. Il arrive souvent – cela m’est arrivé aussi – que les médecins qui participent à la formation en sciences hospitalières découvrent le monde dans lequel ils vivent avec des yeux nouveaux. Or le système de soins et son financement structureront en partie les stratégies de soins de demain avec, d’une part, des pratiques tendant à l’evidence-based medicine et, d’autre part, l’intégration de la contrainte économique comme variable de la pratique. Connaître le système permettra aux soignants de maîtriser la marge de manœuvre nécessaire à l’exercice de l’art médical, c’est-à-dire que cela leur permettra de connaître suffisamment bien les contraintes pour pouvoir, à bon escient et lorsque ce sera nécessaire, les transcender de façon motivée. Avec l’interdisciplinarité au fondement des réseaux de soins, il sera en outre nécessaire que les médecins se forment en management humain, et qu’ils aient des connaissance en leadership, en conduite de projets et en conseil stratégique. Ce qui suppose une connaissance affinée du système. Il leur faudra également connaître les indicateurs de qualité et maîtriser leur implémentation concrète afin qu’ils aient une traduction claire et nette tant pour les soignants que pour les soins administrés aux patients.

Enfin, en raison des attentes des patients et de la montée en puissance de leur volonté d’être partenaires de leurs soins, il serait à tout le moins léger que les médecins ne se forment pas à l’accompagnement des patients, et ce afin de faciliter leur empowerment

«Ces différents besoins», précise Frédéric Thys, «constituent les fondamentaux à acquérir par les médecins et les soignants. Car, de surcroît, la logique de la santé en réseau porte en elle les germes de nouveaux métiers tels que les coordinateurs de soins intra- et extra-hospitaliers, les coordinateurs de soins techniques complexes à domicile, les coordinateurs d’information médicale, etc., avec leurs nécessités intrinsèques: gestion des données, gestion de la sécurité des données, informatique médicale, etc. Quand on fait le bilan, les métiers hospitaliers sont à l’aube d’un changement de culture majeur qui, non anticipé, va s’imposer aux acteurs. Il est donc fondamental d’apprendre à gérer le vivre ensemble, la conduite de projets et la conduite du changement.»

 

Réformer le cursus académique?

Si, pour l’heure, la formation continue joue un rôle central dans l’obtention de ces nouveaux fondamentaux, «il faut espérer que ce rôle s’amenuise à mesure de l’intégration de ces formations au parcours académique de base. En effet, à terme, les médecins et les soignants ne peuvent être contraints à devoir compléter leur formation initiale plus tard, ailleurs, alors même que ces formations seront bientôt indispensables à l’exercice de leur mission. Dans un monde idéal, la formation continue devrait donc, souligne le Pr Thys, changer de portefeuille d’enseignement, si le cursus académique de base évolue dans la bonne direction. La difficulté est toutefois énorme car la pierre angulaire du métier consiste tout d’abord dans l’apprentissage d’une médecine d’excellence, qu’on ne peut évidemment pas sacrifier. Il y a donc là un nœud décisionnel concernant l’organisation et la durée des études. Une solution serait que les médecins puissent réaliser des allers-retours avec le secteur, afin d’intégrer les besoins qui exigent d’être mis dans la formation de base, tandis que, de manière structurée, seraient anticipés les besoins qui répondent à la logique de la formation continue. Il y a néanmoins, à mon avis, des incontournables – déjà intégrés dans la nouvelle loi sur la formation des assistants – tels que l’éveil à d’autres dimensions comme le management ou la gestion de conflit. Pour le médecin qui se destine à la vie hospitalière, on pourrait y intégrer tout ce qui se rapporte au leadership, à la qualité et au financement hospitalier. C’est du moins ce vers quoi il faut tendre si l’on souhaite que la formation continue rencontre elle aussi ses objectifs initiaux: la formation de personnes qui ont envie de “changer” de métier et de se consacrer de façon prioritaire à la gestion de projets ou au management. Il faut néanmoins bien voir que le monde évolue rapidement, que l’on manque de personnes formées et qu’il serait illusoire de croire que ce fossé pourra se combler rapidement et aisément. Il conviendrait donc de s’appuyer sur cette notion d’incubateur du management, qui permet la responsabilisation progressive des personnes désireuses de se mobiliser pour des projets hospitaliers, passant de micro-projets à la gestion de projets plus ambitieux jusqu’à la gestion d’un service ou d’un département. Se découvre alors un autre enjeu majeur et un autre changement de paradigme: l’importance croissante du management fait qu’il n’est pas nécessaire ni même souhaitable que le meilleur chirurgien soit chef de service. L’investissement dans le management, que ce soit comme chef de service ou comme partie prenante de la direction a en effet pour corollaire le sacrifice d’une certaine excellence clinique: se former à l’un empêche de se former simultanément à l’autre, or l’un et l’autre évoluent rapidement. C’est pourquoi je crois que le monde hospitalier de demain devra se composer de spécialistes pointus, disposant d’une excellence clinique majeure, qui transmettent leur savoir et leur art, et de personnes qui se consacrent au management et au développement du service au bénéfice de l’ensemble.»

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