Six représentants politiques, invités par la fédération Unessa, ont pu débattre le 15 février de leurs visions des secteurs de la Santé et de l’Action sociale. Parmi les nombreux thèmes abordés, celui du financement révèle des différences manifestes entre les partis. Les politiciens ont pu défendre les mesures qu’ils comptent prendre après les élections du 9 juin.
Pour lancer ce débat, les 250 participants à cette soirée - qui représentaient de nombreuses structures affiliées à Unessa - ont été invités à répondre à cette question : « Votre institution/structure a-t-elle dû renoncer à des investissements (engagement de personnel, achat d’équipement, travaux d’aménagement) en 2023 ? ». 89% des sondés ont répondu par l’affirmative. De quoi alimenter directement les discussions entre les politiciens présents.
Rehausser la norme de croissance
«En effet, les coûts ont explosé. C’est un phénomène général qui ne concerne pas que les secteurs de la Santé et de l’Action sociale. L’indexation des salaires, la hausse des coûts de l’énergie et des matériaux de construction… ont eu un impact sur les coûts. De nombreuses associations actives dans le secteur de la santé se retrouvent dans le rouge. Cette situation crée une forte incertitude sur la continuité des services à assurer et sur la qualité », commente Eliane Tilleux, députée fédérale (PS) et présidente de la Chambre. «Au Parti socialiste, nous réclamons un financement qui soit beaucoup plus structurel pour viabiliser à plus long terme les moyens qui vont être dévolus. Nous voulons fixer une norme de croissance minimale de 3% pour le budget des soins de santé pour pouvoir répondre aux besoins de la population. Cette revendication nous tient vraiment à cœur.»
Adapter le financement aux besoins
«La solution n’est pas de dépenser toujours plus d’argent », soutient Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement réformateur (MR). «Sur les six dernières années, 10 milliards supplémentaires ont été investis dans les soins de santé. Le budget est passé de 25 à 35 milliards d’euros. Ce qui est fondamental c’est de pouvoir prévoir les besoins réels. La prévisibilité doit se faire au niveau territorial, parce que nous connaissons le niveau socio-économique d’une population. Cela permettrait d’avoir une approche politique spécifique. Aujourd’hui, cela ne se fait pas parce qu’il n’y a pas de pérennité budgétaire, en particulier, au niveau régional en raison de l’état dramatique des finances.»
Le président du MR estime qu’au lieu de donner de l’argent supplémentaire aux structures de soins et d’aide, on peut réduire leurs coûts, par exemple, en créant des mécanismes fiscaux spécifiques pour les travailleurs actifs dans le « care » » et pour les institutions. « Il ne serait pas anormal qu’au nom d’une mission de service public, on puisse développer une approche spécifique », souligne Georges-Louis Bouchez. «Tout cela doit s’inscrire dans la démarche budgétaire de la Région wallonne qui va demander, au lendemain du scrutin, de véritables choix politiques. »
Changer les mécanismes de financement
« La justice, la santé et l’éducation sont trois piliers de la société dans lesquels il faut pouvoir investir. Nous devons donc continuer à investir dans les soins de santé, dont les coûts augmentent puisque la population belge vieillit et que nous n’investissons pas assez dans la prévention », commente Elisabeth Degryse, secrétaire politique des Engagés. «Nous devons changer fondamentalement notre manière de voir les choses. Il y a encore de nombreux besoins qui ne sont pas rencontrés. On peut travailler sur l’efficience et la rationalisation, mais il faut arrêter de croire que nous devons faire des économies dans les soins de santé. Il faut se concentrer sur les mécanismes de financement et sur la prévisibilité, et ce n’est pas la même chose pour une crèche, un hôpital, un service d’accueil pour des personnes en situation de handicap… On ne réglera pas les problèmes de la même façon. Pour les hôpitaux, une réforme a été lancée par le ministre Vandenbroucke. Il faut absolument la continuer. La crise sanitaire a montré qu’il est impossible de continuer de fonctionner avec un financement à l’acte qui ne permet pas aux gestionnaires hospitaliers de se préoccuper de la question de la qualité. Ils essayent de garder leur budget à l’équilibre parce que, comme l’a montré la dernière étude Maha, la situation des hôpitaux est catastrophique. Il faut changer les mécanismes de financement pour permettre aux structures de se projeter sur du temps long. C’est la responsabilité des politiques d’accepter de faire des investissements qui rapporteront plus tard en efficience. »
700 millions d’euros d’économie
«Le débat n’est pas de savoir s’il faut donner plus d’argent au secteur des soins de santé, mais d’arrêter de lui en prendre. Les augmentations des prix de l’énergie ont fortement impacté les institutions, or des surprofits énormes ont été faits dans le secteur de l’énergie. Je suis surpris de la passivité d’un gouvernement fédéral, composé entre autres, du PS, du MR et d’Ecolo, qui n’ont pas bloqué ces prix. Dans 15 pays européens cela a été fait », s’insurge Germain Mugemangango, chef de groupe PTB au Parlement wallon. «Il faut arrêter d’économiser dans les soins de santé. C’est ce qu’a fait le gouvernement fédéral. Il a économisé 700 millions d’euros sur les soins de santé en prenant une série de mesures. La norme de croissance de 2,5% pour les soins de santé, inscrite dans la déclaration de politique gouvernementale, a été ramenée à 2%. Le premier ministre s’est vanté auprès des institutions européennes d’avoir économisé 11 milliards d’euros. Cela a eu un impact sur les soins de santé. On prévoit, au niveau européen, des économies à hauteur de 27 milliards à réaliser en 7 ans. Nous estimons au PTB qu’il faut s’opposer à cette austérité européenne, que tous les services publics vont payer. »
Relancer l’économie
« Il faut arrêter de compliquer la vie des professionnels de la santé », estime François De Smet. « Dans le secteur de la petite enfance, la réforme des milieux d’accueil (Milac), a empoisonné la vie des crèches en imposant une rigidité administrative qui a poussé certaines structures privées à fermer leurs portes et a mis des structures publiques dans les difficultés. J’ai dirigé un service d’action en milieu ouvert (AMO) durant quelques années. Certains voudraient que les services d’aide à la jeunesse quittent la FWB et soient régionalisés. Ce n’est pas une bonne idée. Cela va apporter encore plus de complexité. Il faut au contraire apporter de l’autonomie et de la responsabilisation. »
Le président de Défi estime qu’en raison de la croissance du « care » dans les années à venir et, en tenant compte du fait que le personnel de ce secteur ne va pouvoir être remplacé par l’IA, ces métiers peuvent être attractifs si les dirigeants les revalorisent. «Où trouver l’argent pour mener ces politiques ? Les Régions sont désargentées. Le Fédéral l’est aussi. Il faudra donc faire des choix politiques. Il faudra trouver de l’argent ailleurs, dans des secteurs où il est possible de faire des économies, mais je crois surtout qu’il faut relancer l’économie de notre pays, augmenter le taux d’emploi, afin que nos recettes soient suffisamment fortes pour mieux financer, par ruissellement, les soins de santé. Cela ne suffira sans doute pas.»
Faire confiance aux acteurs
« Le temps du monde politique est différent de celui de la réalité. Lorsqu’il y a une crise, il faut y répondre rapidement. Or, on le fait toujours trop tard. Les investissements, eux, sont programmés sur 5 ans », analyse Laurent Heyvaert, député de la Wallonie et de la FWB (Ecolo). « Pour faire coïncider ces deux timings, il faut faire confiance aux acteurs : les structures, les travailleurs et les fédérations. L’administration doit être garante de ce temps. Lorsqu’on investit et puis qu’on désinvestit l’année d’après, les institutions doivent récupérer ce temps perdu. Je préfère que les autorités investissent de façon continuelle. »
Financer les mesures imposées
« J’espère que les représentants des partis se rendent compte que chaque gouvernement, fédéral, régional ou européen, impose des nouvelles normes. Chaque nouvelle exigence représente un coût supplémentaire pour le terrain. Or, le budget pour faire face à ces nouvelles exigences est souvent oublié. La moindre des choses en tant que responsable politique est, lorsqu’on impose des mesures à un secteur, de le financer », a conseillé Philippe Devos, directeur général d’Unessa, aux politiciens réunis lors du débat. « Force est de constater que depuis des années, ce n’est pas le cas. Par exemple, au niveau du financement de la cybersécurité, on ne peut pas dire que le gouvernement fédéral assume ses choix. Il faut voir au-delà d’une législature et prendre des engagements à 20, 30 ans, par exemple, pour la reconstruction des infrastructures. Ce n’est pas le cas actuellement. Cette attitude nous inquiète.