Les jeunes médecins sont-ils des professionnels de moins bonne qualité que leurs prédécesseurs ? ( Dr Sarah Cumps )

Je suis diplômée en médecine depuis 2019, j’ai terminé mon assistanat de médecine générale en 2022. Je suis issue des premières cohortes de médecins formés en 6 ans, confrontés tout au long de leurs études à cette crainte omniprésente : « Est-ce encore une formation de qualité ? », « Quel sera l’impact de ces quelques mois de stages en moins ? »

Je fais partie de la génération dont parlent certains confrères quand ils disent « les jeunes ne veulent plus travailler », ou « les jeunes d’aujourd’hui ont besoin d’être cocoonés » (et, à demi-mot : « de mon temps, on ne se plaignait pas autant »).

Des propos que j’entends souvent dans le milieu médical, mais qui font écho à un grand glissement générationnel. Alors, au-delà des émotions, laissez-moi vous faire part à mon tour de quelques constats et réflexions.

Attendre des étudiants en médecine qu’ils aient, à la sortie des études, une bonne maîtrise des « connaissances théoriques » est tout simplement un paradigme dépassé. En 1980, le temps de doublement estimé de l’étendue du savoir médical était de 7 ans. En 2020, il était estimé à 73 jours. Septante-trois jours. Six ans, sept ans ou quinze ans d’études ne changeront pas l’évidence : aujourd’hui, la qualité d'un médecin ne peut pas se mesurer par la quantité d’informations qu’il a ingurgitées. Sa plus grande qualité réside plutôt dans sa curiosité intellectuelle, dans sa capacité à rester à jour et à rechercher de nouvelles informations, et à évaluer honnêtement la qualité de ses sources et de sa propre expérience.

Sur ce point, je pense justement que les jeunes médecins sont très bien formés. Depuis mes premiers stages, j’ai entendu et ré-entendu le fameux adage « en médecine, on n’arrête jamais d’apprendre ». Ma génération se distingue par cette qualité : celle du recours à l’Evidence-Based-Medicine et aux guidelines, à l’appel à l’équipe et au travail en réseau pour plus de complémentarité. La jeunesse peut s’enorgueillir de sa flexibilité face au changement et de sa facilité à maîtriser de nouvelles technologies. Les universités encouragent le développement continu de notre expertise, non seulement par l’acquisition de connaissances théoriques, mais aussi de compétences techniques variées (comme les formations à l’échographie, de plus en plus populaires auprès des assistants) et relationnelles (formations en soft skills, techniques d’écoute active, gestion du stress, …) En fin de compte, les jeunes médecins sortent de leur assistanat avec un éventail de compétences tout à fait en adéquation avec ce que la médecine de première ligne est aujourd’hui : complexe, collaborative, humaine, qualitative.

Certes, la crise COVID a privé toute une génération de médecins en formation de longs mois de clinique « traditionnelle ». Nombre d’entre nous ont passé d’interminables journées en tenue de cosmonaute, à réaliser des PCR à tours de bras pour des patients dont nous connaissions à peine le nom. Mais nous étions là. Nous l’avons fait. Par nous-mêmes, nous avons appris à mener des téléconsultations – parce que personne ne pouvait nous montrer la voie. Au coude-à-coude avec nos maîtres de stages, nous avons fait face à cette crise que personne n’aurait imaginée, nous avons pris nos responsabilités, nous avons appris en même temps que tous les autres acteurs de santé, quelle que soit leur expérience, à nous adapter et à faire preuve de résilience.

Sommes-nous une génération moins assurée que nos prédécesseurs ? Peut-être. Je choisis de le voir comme une qualité. Nous ne craignons pas de poser des questions, nous sommes attentifs à nos limites. Et si parfois nous donnons l’impression de ne pas oser sortir de notre zone de confort, n’est-ce pas là justement le rôle du maître de stage, d’accompagner dans la bienveillance pour permettre un épanouissement professionnel ? 

Parfois, un malaise peut subsister. Je partage les inquiétudes de certains sur les enjeux de la ruralité : oui, la médecine rurale possède ses propres spécificités, qui méritent d’être mises à l’honneur. Il serait cependant dommage de ne pas saluer les nombreuses initiatives locales qui florissent ces dernières années pour en faire la promotion, et dont nous pouvons ensemble espérer qu’elles encourageront de nouvelles vocations. 

Vous l'avez compris, je m’oppose farouchement à la croyance selon laquelle les jeunes médecins ne seraient pas bien préparés à répondre aux besoins de santé de la population. Les défis auxquels nous devons faire face sont nombreux et inédits – pénurie de soignants, précarité croissante et inégalités dans l’accès aux soins, augmentation des maladies chroniques et des problèmes de santé mentale – et le risque de désenchantement au sein de la profession est bien réel. Cependant, plutôt que de perpétuer le mythe selon lequel il n’existe qu’une seule manière d’être un bon médecin généraliste, réjouissons-nous de la diversité de nos forces, qui constituent notre véritable richesse.

Lire aussi: «On pourrait mieux former les généralistes» (Dr Eric Schmitz)

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Derniers commentaires

  • Donald Vermer

    17 mars 2024

    Pourquoi comparer ?
    Les jeunes médecins sont ce qu'ils sont
    Ils apportent sûrement leurs compétences à l"édifice

    Dr Vermer

  • Nancy Jacquemotte

    11 mars 2024

    Tableau bien brossé chère consoeur, je n'ai aucune crainte quant aux connaissances des jeunes médecins de votre génération , utilisez tous les contacts possibles avec les confrères pour ne jamais vous sentir désemparée (ça nous est tous arrivé) et surtout, protégez votre vie privée, belle continuation à vous.

  • Philippe TASSART

    09 mars 2024

    On ne peut qu'adhérer à ce discours.

    Il y a certainement de très bons, bons et moins bon médecins dans chaque génération. Ce n'est pas à nous d'en décider, mais on peut quand même se demander quelles pourraient être les qualités d'un bon médecin généraliste.
    - une grande disponibilité ? Assurément. C'est une grande qualité, probablement la plus importante. Mais fort contraignante. Qui est encore intéressé ?
    - un médecin de famille ? C'est ce que recherchent les patients, sans aucun doute possible. Mais ce genre d'offre disparait progressivement et ce ne sont pas les médecines de groupe qui solutionneront le problème.
    - une offre complète avec consultation sur et sans RV et des visites ? C'est quasi impossible à trouver sur le marché !
    - un médecin qui se tient au courant de l'évolution des connaissances ? Indispensable évidemment.
    - un grade aux études ? C'est la preuve que le hard est là, mais le soft n'est pas garanti.
    - une grosse clientèle ? Oui c'est un critère mais il faut aussi voir pourquoi les gens affluent .....
    - un médecin sympathique ? C'est un critère souvent cité par les patients mais ce n'est évidemment pas suffisant.
    - une disponibilité pour sa famille et ses loisirs ? C'est certainement un critère extra professionnel cité par beaucoup de médecins. Le repos du guerrier en quelque sorte.
    Un bon médecin généraliste, c'est certainement tout cela, mélangé, avec un peu plus de ceci et un peu moins de cela ..... au choix de chacun.

    Il est clair qu'une formation encadrée facilite les premiers contacts avec les patients, mais je ne suis pas sûr que cela change quoi que ce soit sur le long terme. Il y a 40 ans, notre immersion, nous l'avons réalisée en solo, directement au front et c'est là que l'on apprend très vite, certainement plus vite que dans le giron rassurant d'une médecine de groupe. Nous devions trouver les solutions par nous-mêmes au lieu de la recevoir déjà prédigérée par d'autres.

    Dans la grisaille actuelle, cela fait plaisir de lire un discours plein de fraîcheur, de justesse et d'optimisme, de quoi faire oublier les plaintes de nombreux confrères à l'esprit chagrin qui alimentent la cause de certains politiques qui n'attendent que cela pour justifier la destruction de notre splendide métier.

  • David Simon

    07 mars 2024

    Bonjour Sarah,
    Les réunions de GLEM où j'ai le plus appris sont celles dont l'expert était une ou un de ses jeunes membres
    Que sont nos connaissances théoriques après 30 ans ? Seule l'expérience manque à celui qui la commence

    De quel droit dénigrer le savoir des jeunes qui ont subi l'interdiction criminelle de tout contact avec le patient
    quand on a soi-même exercé dès la fin de ses études sans avoir eu de contact avec la médecine générale ?

    L'assurance ne se gagne en rien seul pendant la garde mais tout au contraire au sein de pratiques de groupe
    qui garantissent aux jeunes cette confiance en soi qui nous manquait tellement pendant nos gardes

    Spécialistes, infirmiers, kinés, vétés, enseignants, fonctionnaires et même notaires sont introuvables dans les communes et quartiers en pénurie de MG. Faut-il contraindre les jeunes à s'installer là où ils ne souhaitent en aucun cas voir s’épanouir leur famille ?

    Les jeunes refusent de sacrifier la vie privée au travail dans toutes les professions ... et dans tous les pays
    Notre génération l'a trop négligée et parfois détruite. Un nombre croissant d'entre nous suit leur exemple

    https://www.absym-bvas.be/fr/actualite/non-au-travail-force-des-medecins-generalistes

  • Yves Lefebvre

    05 mars 2024

    Un grand Bravo pour ce point de vue très positif et constructif!
    Ce n'est malheureusement pas toujours le cas. Il y a à chaque génération des personnalités qui se la joue Perso !
    Vive la collaboration de réflexion et d'entraide intergénérationnelle et continue ! Le patient a tout à y gagner !
    Pour cela , il faut un état d'esprit de soif de partage des connaissances de la part de toutes les générations!
    Le travail en équipe est de ce point de vue une très grande richesse, mais il faut garder à l'esprit un contact personnalisé avec chaque patient en respectant son choix.
    Bravo encore et bonne continuation dans ce bel état d'esprit !

  • Daniel Willocx

    05 mars 2024

    Bravo. Très bien écrit et bien étayé.
    Et ces réflexions sont sans doute valables pour toutes les professions...
    Globalement, les jeunes d'aujourd'hui sont extraordinaires, probablement plus conscients des enjeux et plus impliqués que nous ne l'étions à leur âge.
    Merci d'avoir rappelé cette foi en l'avenir qui manque tellement dans le discours ambiant.

  • Irène BROUHNS

    05 mars 2024

    Excellent article, les opinions sont claires, bien défendues et courageuses.

  • Hervé Godiscal

    04 mars 2024

    je partage tout de cette analyse approfondie et bien fondée.
    je fus maître de stage et je comprends tous ces questions posées à l'aune d'une médecine de plus en plus complexe.
    Il n'y a pas de solution miracle mais l'essentiel reste de maîtriser l'essentiel pour se tromper le moins possible.
    La meilleure approche est de toujours profiter de ce quelqu'un d'autre peut vous apprendre en toute humilité.

  • Igor Malec

    04 mars 2024

    D’accord avec cette analyse. Bravo Sarah.

  • Alain Bachy

    04 mars 2024

    Constats et réflexions intelligentes, positives, qui font plaisir.

  • Philippe Cardon

    04 mars 2024

    Très bel article qui résume parfaitement la situation en Tout les cas en ce qui me concerne j'ai décidé de faire confiance à une jeune médecin et je ne le regrette pas loin de la.
    Le choix que j'ai fait n'est pas le fruit du hasard car ce médecin me prouve par ses compétences à chacune de mes visites à quel point elle s'investit pour ses patients.

  • Luc HERRY

    03 mars 2024

    Luc Herry

    Les médecins sont toujours bien formés en Belgique, nous sommes d'ailleurs le deuxième pays européens formateurs de médecins ( après le Danemark). Et beaucoup d'étranger viennent se former en Belgique.
    Les connaissances médicales évoluent très très vite, et bravo à tous ceux qui s'informent et s'instruisent.
    Jeunes médecins en 1980, j'avais une pratique différente de mes ainés, et aujourd'hui, la pratique des jeunes est toujours différente de leurs ainés. Ce qui manque en Belgique, c'est une vrai reconnaissance de tous les professionnels de la santé. Et Bravo à Sarah pour son implication dans le monde médical.

  • Patricia Eeckeleers

    01 mars 2024

    Bravo! J'ai 66 ans, travaille toujours et accueille des assistants depuis plus de 15 ans, et je suis totalement d'accord avec ce que notre jeune consœur affirme. J'ose affirmer que nos jeunes confrères sont nettement mieux formés que nous qui étions lancés "dans l’arène" après 4 mois de stage (!!). D'autant plus qu'actuellement le choix de la médecine générale est un choix le plus souvent positif et pas par défaut, comme ce l'était bien souvent par le passé.
    Et je dirais que cela va en s'améliorant: la curiosité scientifique, le besoin de continuer à apprendre est bien ancré.
    Donc je l'affirme que, nettement, ils sont bien mieux formés que nous. Et ces 3 ans d'assistanat y aident. Pouvoir commencer à travailler en étant encadrés, quelle chance!Tous les pays ne le font pas ..

  • Charles KARIGER

    01 mars 2024

    Chère Consœur,
    Oui, les connaissances explosent et s’accumulent! J’ajoute un chiffre aux vôtres, le temps de doublement des connaissances en sciences médicales était de huit ans vers 1970. Cela semblait incroyable. Depuis, comme vous le remarquez, l’accélération s’accélère.
    Vers 1960, les carabins apprenaient que «LE traitement de *** EST celui-ci ».
    Vers 1975, c’est devenu « CETTE ANNÉE, le traitement de *** est… »
    Vers 2000, ce fut « CETTE SEMAINE, les traitements de *** sont… ».

    À présent que les études théoriques ont été raccourcies d’un an et qu’aucun mode d’exercice ne prévoit du temps RÉMUNÉRÉ dévolu à la mise à jour continue, non seulement il est indispensable de tenter vaille que vaille de suivre le mouvement, mais il faut aussi se résigner à être constamment en retard. La multidisciplinarité y pallie quelque peu, bien sûr, mais au prix d’une lourdeur et de la dépersonnalisation des soins.

    Parmi les conséquences de tout cela, il faut clairement enregistrer deux changements majeurs de l’exercice de la médecine.
    1° la disparition du COLLOQUE SINGULIER et
    2° la disparition de la possibilité d’agir en " MÉDECIN PRUDENT et DILIGENT", c’est-à-dire en médecin disposant de toutes les connaissances adéquates.

    Au mieux, seront nous désormais de bons « techniciens de la santé ».
    Rappel : Le Ministre Frank Vandenbroucke ne laisse planer aucun doute:
    « La disparition des médecins solos est une bonne évolution dans le cadre du New Deal visant à réformer la profession. … On ne peut plus se permettre qu'un médecin généraliste soit seul responsable de la prise en charge totale de tous les patients. »
    Depuis des années déjà, les textes réglementaires ne parlent plus de médecins mais de "praticiens professionnels", terme désignant indifféremment logopèdes, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeute, podologues, et AUSSI les médecins.

  • Sammie SOETAERT

    29 février 2024

    Il serait intéressant de réaliser une enquête auprès d'un échantillon représentatif des patients belges pour leur demander leur niveau de satisfaction concernant la prise en charge médicale ainsi que la mise en évidence des pistes d'amélioration.

  • Sophie Habets

    29 février 2024

    Bravo Sarah! Je fais partie de la génération des "vieux" et je suis pourtant farouche défenseur des jeunes. Je n'ajouterai rien à ce que tu as écrit, ce serait redondant!

  • Philippe Cardon

    29 février 2024

    Je partage tout à fait cette analyse.
    Les exigences sont différentes, les qualités nécessaires aussi.
    Les maîtres de stage de qualité le savent et s'adaptent eux-mêmes au contact de la jeune génération au bénéfice de tous.
    La formation et l'encadrement a évolué et doit continuer de le faire pour pouvoir former des jeunes médecins en adéquation avec les besoins de santé de notre société actuelle. L'enseignement évolue, s'adapte, les encadrants doivent aussi le faire.
    Dr Philippe CARDON

  • Sophie Kutzner

    29 février 2024

    Bien dit ????