En tant que Président du Conseil Médical d’un grand hôpital liégeois, je ne peux accepter l’idée d’une centralisation à outrance des programmes de soins spécialisés en hémato-oncologie pédiatrique dans quelques rares centres sans qu’il n’en existe au moins un en Wallonie. Cette centralisation de l’expertise serait contraire aux objectifs de santé publique, défavorable au devenir de jeunes patients et délétère à l’enseignement de cette spécialité et des spécialités médicales annexes dans notre région.
L’idée de regrouper les pathologies médicales complexes et rares dans des centres qui possèdent l’expertise requise est en soi défendable. Mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment d’une région entière du pays. Parmi les spécialités dans lesquelles le ministre Vandenbroucke veut instaurer de tels centres, figure l’hémato-oncologie pédiatrique. En fonction des critères et normes d’agrément envisagés actuellement, un tel rassemblement de patients aboutirait du côté francophone à la reconnaissance d’un seul centre d’oncologie pédiatrique à l’UCLouvain, proche de celui de la KULeuven. Autrement dit, la Wallonie en tant que telle n’en disposerait pas. Un des critères quantitatifs avancé par le ministre est d’avoir 100 nouveaux patients pédiatriques par an. Il s’agit d’un chiffre totalement arbitraire qui ne repose sur aucune évidence médicale. En Belgique, on compte 350 à 400 nouveaux cas de cancers chez les enfants < 15 ans. Le service universitaire de pédiatrie, situé sur notre site, accueille chaque année plus de 40 nouveaux patients. Leur nombre est probablement semblable dans le réseau hospitalier voisin, Move.
Déjà en 2005, sur le terrain, les pédiatres spécialisés en hémato-oncologie des trois grands hôpitaux liégeois (CHR, CHC et CHU) s’étaient regroupés en un Service interhospitalier Universitaire d’Hématologie et d’Oncologie Pédiatriques (SUHOPL) pour maintenir et développer, en Wallonie, l’expertise en oncologie pédiatrique et assurer l’accès aux meilleurs traitements.
Avec le temps, par un manque de soutien de la part des directions, par la création et la compétition des réseaux hospitaliers, par l’ego de certains dirigeants, l’entrain initial s’est amenuisé avec le temps. Je conjure les directions des trois grands hôpitaux Liégeois d’unir leurs forces, dans une collaboration respectueuse et constructive, condition sine qua none pour prétendre répondre aux exigences de la programmation des soins spécialisés en hémato-oncologie pédiatrique.
Sans quoi, ce sera un fameux gâchis, d’abord pour la population wallonne. L’absence de possibilité pour des parents de faire soigner relativement près de chez eux un enfant atteint de cancer leur est hautement dommageable. Ils devraient courir jusque Bruxelles pour avoir pour leur enfant un diagnostic, un plan de traitement, une éventuelle greffe de cellules souches hématopoïétiques. Imaginons une famille qui réside à Arlon. On voit bien la difficulté rencontrée par cette famille, qui devrait traverser la moitié de la Belgique, pour trouver les bonnes conditions de prise en charge de son enfant. Et tout au cours de l’évolution, il faudrait qu’elle fasse des allers-retours entre son domicile et Bruxelles. Bien entendu le ministre Vandenbroucke nous répondra qu’il y aura des centres « satellites » pour le suivi du plan de traitement.
Justement, ça aussi c’est un problème. Comment voulez-vous que les pédiatres oncohématologues gardent leurs compétences si toutes les mises au point sont à ce point centralisées. Quelles seront les motivations des futurs pédiatres d’entreprendre cette spécialisation s’ils ne peuvent pas la pratiquer ? La discipline à l’Université de Liège risquerait de ne plus être enseignée et la recherche dans ce domaine pourrait se tarir. De plus, comme la prise en charge de tels enfants est bien souvent multidisciplinaire, les autres spécialités tant pédiatriques qu’adultes, d’imagerie médicale, du laboratoire, le personnel soignant et paramédical, … perdraient également de leurs compétences. Nivellement par le bas !
On pourrait nous soupçonner de corporatisme, de régionalisme ou que sais-je encore … Je peux affirmer que la motivation première des défenseurs que nous sommes, de maintenir un centre d’expertise en Wallonie, est avant tout motivée par le souci des patients et de leur entourage. La démarche s’inscrit dans une pensée de santé publique de qualité, accessible à tous sur l’ensemble du territoire. Pour toutes ces raisons, je ne peux que déplorer l’existence d’un tel projet, non pas dans son principe mais dans la manière concrète dont il risque bien d’être mis sur pied.
Derniers commentaires
Jean-Paul MISSON
23 mars 2024Un tel projet visant à un regroupement à outrance de certaines pathologies pédiatriques dont celles liées à l’hématologie-oncologie pédiatrique relève d’un non-sens inadmissible. Sa justification d’une recherche de qualité de qualité de soins est certes importante mais ne cache t’elle pas en réalité une autre raison nettement moins prestigieuse faisant référence au budget. Une telle centralisation des soins représente un manque de prise en compte des besoins des populations de nos provinces wallonnes qui ont aussi droit à bénéficier de soins hautement spécialisés de manière rapprochée. Sans oublier l’investissement qui a été fait depuis des années par les services, notamment de l’ULg, dans ce domaine et de ses membres dont la réputation n’est plus à faire tant au niveau régional que national et international.
Cette polémique sur l’hémato-onco pédiatrique me rappelle par ailleurs d’autres discussions vécues antérieurement sur la création des centres de références pour les maladies neuro-musculaires, les Infirmes Moteurs Cérébraux et les centres autismes. Méconnaissant les besoins des patients des provinces du sud, Il avait été aussi question de centraliser ceux-ci sur Bruxelles et le Nord du pays. Cela avait même été le cas il y a 70 ans d’ici au sujet de la création des écoles spéciales en milieu rural. Heureusement certains ont tenus bon et des projets régionaux ont vu le jour et rendent aujourd’hui des services inestimables à la population.
Il serait donc bien temps d’affirmer que tous les patients de Arlon jusqu’à Ostende ont droit aux mêmes services médicaux de qualité. Donc NON pour la centralisation et l’organisation de centres satellites décentralisé comportant le risque d’être incomplets et donc privés de compétence. Certainement OUI pour le maintien d’un centre wallon au sein de l’ULg où travaillent d’ailleurs déjà des médecins formés à l’étranger et reconnus au niveau international.
Charles KARIGER
04 mars 2024Vous écrivez judicieusement: "Comment voulez-vous que les pédiatres oncohématologues gardent leurs compétences si toutes les mises au point sont à ce point centralisées? "
Mais qu'est-ce qui vous incite à penser que l'association VDB-KUL le désire ?
Jeannine Haleng
01 mars 2024Entièrement d'accord avec le docteur Jean Marc MINON
Jacques BORN
01 mars 2024Je partage totalement l’avis que « « « l’expérience et donc le nombre de cas traités sont souvent un gage de qualité encore ne faut-il pas avoir pour but l’augmentation de ce nombre en multipliant parfois les gestes inutiles.
Par contre, je dénonce ceux qui, depuis des années, se sont donné pour objectif de fractionner cette expérience dans la région liégeoise, expérience qui sur le site du CHR de la Citadelle avait été initiée par le regretté Doyen et Administrateur du CHU Paul Franchimont. Ce brillant scientifique avait une vue à long terme.
Jean-Paul Langhendries
01 mars 2024Je partage totalement l'avis circonstancié du Dr Minon.
Dr JP Langhendries
Pédiatre-Néonatologue
Thierry DETAILLE
29 février 2024L’excellence passe par un nombre de patients suffisant, c’est démontré dans la littérature médicale. La Belgique est un petit pays. Cessons de regarder nos propres intérêts et ouvrons les yeux au patient et à ce qu’il a besoin pour bénéficier des meilleurs soins. Que veut le patient : des soins de qualité garantis par une expertise basée sur de l’expérience ou des soins de proximité, chacun soignant quelques patients sans véritable moyen ? Le patient ne peut pas être l’otage de nos égos politiques, philosophiques ou économiques. Centraliser n’exclut pas la périphérie. Centraliser permet une meilleure gestion des moyens.
Jacques BORN
29 février 2024Je partage totalement l’avis du Docteur MINON en particulier lorsqu’il signale « un manque de soutien de la part des directions, la création et la compétition des réseaux hospitaliers et l’ego de certains dirigeants ».
Le CHU n’a eu de cesse de détruire les services du CHR, même ses services universitaires en les fragmentant.
Il est temps de rassembler tout en respectant la spécificité et les expériences des médecins de nos trois institutions. Le meilleur n’est pas toujours là où on pourrait le croire … Durant des années, tous les services du CHR ont développé des secteurs spécialisés pour la prise en charge des pathologies pédiatriques en collaboration étroite avec le service universitaire de pédiatrie. Il ne faut pas abandonner cette expertise !