Le concept de réseau est critiqué, mais ce qu’on reproche « aux réseaux » est biaisé par le modèle de financement des hôpitaux et par une absence de compréhension de la démarche « réseau » initiée par la ministre De Block, avec l’outil indispensable qu’est devenu le modèle de Value-Based Care tel que décrit par Porter (Harvard Business School). Schématiquement, la formule décrite (Value = Outcome/Costs) exprime la valeur comme étant le quotient des objectifs divisés par les coûts, où le numérateur regroupe les résultats cliniques observés ou rapportés par le patient (PROM), l’expérience patient (PREM), la réduction des incidents et des aléas, et où le dénominateur, le coût au sens large, regroupe certes le coût financier, mais aussi le coût socio-économique et écologique.
La formule ne décrit pas le modèle de financement, mais est un outil qui permet de comprendre pourquoi une innovation est intéressante, comment l’innovation améliore l'efficience, pourquoi certaines démarches plus coûteuses sont au final plus rentables, et pourquoi une organisation spécifique, qui est une innovation en soi, peut être nécessaire parfois, comme par exemple celle des réseaux hospitaliers.
Bénéfice partagé
Les réseaux n’ont de sens que s’il y a une réallocation des services et des missions, et c’est la première condition. Ce point de vue a notamment été développé par Advisory Board International et a été précisé par la ministre De Block, avec les hôpitaux de référence, généraux et de proximité. L’idée n’a donc de sens que si les hôpitaux regroupent certaines missions, en vue d’améliorer la qualité et/ou la rentabilité de l’offre, mais aussi en vue de pouvoir réinvestir le surplus pour d’autres besoins, comme la revalorisation des soignants. Le corollaire de cela, et c’est la deuxième condition, est qu’il faut que toute mesure « value » puisse s’accompagner d’un investissement de l’ensemble ou au moins d’une partie de la marge créée (un partage des bénéfices entre les acteurs et les payeurs). Cette condition dépend donc de la capacité à pouvoir objectiver le coût réel, et cela n’est malheureusement pas possible avec un système de financement des hôpitaux basé sur la journée justifiée, par admission, et supporté en partie par les frais portés sur l’activité médicale, donc sur la Nomenclature, qui d’ailleurs n’a absolument pas prévu cela pour toutes les prestations et qui ne contient pas toujours ces frais (quand ils sont supposés être inclus dans le BMF). Cette dualité du financement, BMF et Nomenclature, est délétère, et le principe de la journée justifiée est aujourd’hui le plus grand frein à toute évolution du système de l’offre actuelle pour mieux répondre aux besoins de santé des citoyens. Une troisième condition à remplir est la réforme du financement des hôpitaux.
Et pour être complet, la quatrième condition serait la capacité à mesurer les résultats, les PREM et les PROM, tout en tenant compte de la complexité et du risque. Il est essentiel que les données soient accessibles et qu’on puisse avoir une stratification de la lourdeur et de la complexité pour éviter une sélection des patients ou des pathologies. Enfin, la cinquième condition, un peu indirecte, concerne l’accessibilité qu’il faut maintenir et le bien-être des soignants.
Au regard de cet exposé, si toutes les conditions sont remplies, il devient évident que la démarche réseau est une des démarches essentielles, voire fondamentales parmi les moyens dont nous disposons, au regard de la méthode Value-Based, pour améliorer la résilience et la qualité du système de soins.
Association libre
Il est important de souligner qu’une démarche réseau, plutôt volontaire, telle qu’elle est proposée aujourd’hui, correspond à une stratégie bottom-up qui permet aux acteurs de s’associer librement. Cela me semble préférable à une organisation plus territoriale ou top-down. Si les besoins sont parfois territoriaux, leur couverture avec 25 réseaux est plus que généreuse et laisse beaucoup de marge et de place. Dans cette démarche, le plus grand levier pour améliorer l’efficience est donc la mise en commun de certaines ressources financières et humaines pour certaines activités ciblées. Le plus simple, et ce que l’on observe déjà, est la mise en commun des services supports, tels que les achats, la lingerie, la stérilisation, mais pas encore assez pour la pharmacie ou l’informatique (notamment pour réduire les coûts des investissements, améliorer la sécurité, digitaliser et mesurer, faciliter l’intégration des soins et la résilience du service, etc.). Ce qui semble plus complexe, c’est le déplacement de certaines activités cliniques, mais cela devait se faire sans attendre la redéfinition des normes, et le développement des services de proximité de chirurgie et de médecine de jour, sorte d’antennes des services de référence.
Oui, et contrairement à ce qui est parfois dit, les réseaux hospitaliers peuvent offrir de la valeur ajoutée, sous les conditions décrites, dont la principale est la révision du financement des hôpitaux au forfait par pathologie. Quand la journée justifiée et le casemix ne seront plus, alors les collaborations se créeront et le changement aura lieu.
Je comprends cependant le ras-le-bol du secteur hospitalier, qui, dans l’attente des réformes, souhaite également avancer. Le réflexe du repli sur les régions et les communautés pour avancer plus vite est compréhensible, mais il devrait inciter les autorités fédérales à avancer plus vite et plus courageusement dans les réformes.
Besoin de continuité
J’ai pu lire cet été énormément de critiques vis-à-vis du ministre de la Santé sortant, mais quels que soient les reproches qui peuvent lui être faits, je ne partage pas nécessairement les avis que j’ai pu lire. Il faut admettre qu’il n’est plus possible de réformer sur une législature, et Maggie De Block l’avait clairement exprimé dans une interview qu’elle a donnée à la fin de son mandat. La réalité n’a pas changé et le seul à pouvoir assurer la suite et la fin des réformes, c’est la personne qui était aux commandes jusque-là et qui a l’expertise pour le faire. Au risque d’étonner certains, je pense qu’il faut que le ministre Vandenbroucke puisse continuer et terminer ce qu’il a commencé, peut-être en changeant un peu la méthode et en améliorant l’écoute et la concertation, mais sans ralentir la cadence.