Coronavirus: de l’impréparation à la honte (Dr J.de Toeuf)

Impréparation, panique, restrictions sévères des pratiques, absence de moyens de protection individuelle et moyens de dépistages insuffisants. Menaces, intimidations, décisions hors la loi. Il est temps que nos professions s’insurgent fermement contre ces dérives. 

Tout commence en mars. Les autorités ont longtemps ignoré le caractère explosif de l’épidémie corona, mal informées en raison des tergiversations de l’OMS et des fausses informations venues de Chine. La presse et l’opinion publique se sont bruyamment inquiétées. On est ainsi passé brutalement en mode crise. 

En même temps, l’absence de moyens de lutte fut flagrante : pas de traitement, pas de tests ni viraux ni immunitaires, pas de moyens de protection individuelle. Les mesures de confinement drastique, la mobilisation et la reconfiguration hospitalière, la création de téléconsultations pour trier les patients ou assurer le suivi à distance de patients, ont permis d’éviter l’engorgement des hôpitaux, seuls capables de traiter les phases aiguës de la maladie.

Commence alors le règne des experts (virologues, épidémiologues), à la fois conseillers et alibis des gouvernants. Dans la foulée, les instituts d’Etat publient, en soutien aux décisions politiques, sur un ton péremptoire, la recommandation de fermer toutes les activités ambulatoires de tous les prestataires, sauf urgence. Ensuite des centres de triage dans et hors des hôpitaux sont créés. Des organisations médicales, certaines avec enthousiasme, d’autres avec sobriété, relaient ces recommandations, tout en tentant de maintenir un support minimal des patients.

Fort à propos, l’Ordre des médecins publie un avis rappelant que le médecin doit, en toute circonstance, aide à son patient ; seul le risque personnel encouru par cette activité peut justifier l’abstention. Mise au point bienvenue à un moment où chacun pensait surtout à se protéger.

Les choix politiques ont fait, d’ores et déjà, plusieurs dégâts collatéraux : abandon des services résidentiels sans aide technique et sans moyens de protection, abandon des malades chroniques et autres qui ne sont plus ni diagnostiqués ni traités en consultation ou hospitalisation. Les témoignages de tous les secteurs sont éloquents : maisons de repos, centre d’accueil des handicapés, hôpital des enfants, institut du cancer, services chirurgicaux et d’imagerie, services de diagnostic invasif… Dans les MR/MRS, le résultat affolant est visible : contaminations majeures des pensionnaires et du personnel, et décès. Ailleurs, l’addition des diagnostics et traitements tardifs se paiera plus tard.

Et maintenant la honte !

Des médecins, répondant à la sollicitation de patients, ont maintenu (partiellement) une activité « programmée » ambulatoire ou hospitalisée, sans dommage pour la capacité d’accueil des hôpitaux, dont beaucoup de lits sont restés vides, y compris en USI, et donc capables de traiter ces patients. Certains (il y a même des dénonciateurs réguliers) ont estimé légitime de dénoncer leurs collègues qui, in fine, ne faisaient qu’exercer leur devoir (cf. Ordre) sans s’aligner aveuglément sur les directives de Sciensano.

Pire encore ! Avertis que des praticiens ne se plient pas aux directives, les administrations fédérales et régionales publient le 17 avril une lettre comminatoire intimant l’ordre de respecter les « directives » originelles, annonçant des enquêtes à mener par le Service de Contrôle de l’INAMI. Donc les autorités donnent un vernis obligatoire aux directives, et menacent. 

Menaces vers qui ? Vers ceux qui risquent leur vie en portant assistance aux patients dans le respect de la loi sur le droit des patients et de leur déontologie.

Menaces au nom de quoi ? De directives qui deviennent , par simple déclaration gouvernementale, des prescrits légaux et réglementaires, sans existence d’une base légale quelconque pour les imposer. Directives rédigées par qui ? Des experts brillants, virologues et épidémiologistes, des économistes de la santé, des gestionnaires de données, des mathématiciens.

Cerise sur le gâteau : déclenchement d’enquêtes, illégales puisque le Service de contrôle INAMI est exclusivement habilité à indaguer et sanctionner, dans le cadre de la loi INAMI, les prestataires, pour des contrôles de conformité réglementaire, ou des contrôles quantitatifs des prestations effectuées. En aucun cas, ce service n’a autorité pour se saisir, ou être saisi, d’une mission d’enquête/intimidation pour des motifs étrangers à ceux qui constituent son champ d’investigation.

En résumé : impréparation, panique, restrictions sévères des pratiques, absence de moyens de protection individuelle et moyens de dépistages insuffisants. Menaces, intimidations, décisions hors la loi. 

Il est temps que nos professions s’insurgent fermement contre ces dérives. 

Il est temps de redonner la parole aux acteurs de terrain pour sortir de façon ordonnée et progressive de l’impasse actuelle.

Il est temps de doter prestataires et citoyens de masques appropriés, et de reprendre, partout où cela se peut, le travail.

Il est temps de faire confiance aux médecins, aux infirmières, aux kinés, à tous les soignants, qui sont à même de juger de l’état de leurs patients et du caractère « essentiel » des traitements à leur apporter.

À défaut, la ruine économique et sociale du pays se complétera d’un désastre sanitaire.

Les soignants en général, les médecins en particulier, sont disposés à aider la population au mieux de leurs capacités et moyens. Ils participent sans barguigner aux dispositifs de confinement. Ils sont prêts à aider les décideurs dans leur tâche délicate. Ils demandent du respect, la reconnaissance de leur expertise, et pas seulement les applaudissements de 20h. 

Au nom de l’éthique professionnelle, refusons l’abus d’autorité de tous les donneurs de leçon, technocrates ou non. En notre âme et conscience, asseyons-nous sur cette fumeuse lettre du 17 avril. Ne perdons pas de temps à rassembler les données exigées par le Service du contrôle, nous avons mieux à faire. 

Lire aussi : Contrôle dans les hôpitaux du report des soins "non essentiels" : l'ABSyM déplore l'attitude de la SECM

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Derniers commentaires

  • Philippe SCHLEICH

    28 avril 2020

    Enfin, merci, car je me demandais si j'étais à coté de mes pompes...
    Merci, honoré confrère de nous remettre un peu de baume au coeur, ou de plomb dans la tête...

  • Freddy GORET

    27 avril 2020

    Les patients no covid commencent à se « plaindre » et je mesure mes termes car ils ont des problèmes médicaux et ne comprennent pas l impossibilité d avoir un rv alors qu ils peuvent se rendre dans une grande surface chez le boulanger ou au brico du coin
    Ils considèrent que les problèmes médicaux sont aussi de première nécessité
    Je leur explique que le fédéral et l Inami interdisent leur accès aux consultations et je leur propose de s adresser à leur politicien local pour avoir des explications en tant que citoyen et leur rappeler que le retour aux urnes est pour bientôt

  • Pierre BRIHAYE

    24 avril 2020

    La gestion de la crise par nos "élites" fut déplorable, et la pression mise sur le corps médical pour arrêter son activité de soignant, inacceptable. Nous sommes médecin, et je remercie Jacques Detoeuf de nous rappeler qu'il est illégal de nous interdire de soigner nos patients!
    Voici une Lettre Ouverte qui va dans le même sens:

    Uccle, le 12 avril 2020.

    Madame la Première Ministre,
    Messieurs les Ministres-Présidents,

    A quelques jours de décisions cruciales, il me semble utile de revenir vers vous sur le bien-fondé de l'utilisation généralisée du masque, qui conditionne la possibilité d'un déconfinement partiel en association avec les autres mesures barrières déjà en vigueur, avec les tests sérologiques en préparation, et avec la responsabilisation de chaque citoyen d'agir sur sa propre immunité par l'amélioration de son hygiène de vie.

    La grande majorité des personnes que nous croisons, dans et en dehors de nos consultations, attendent de vous ces décisions cruciales, dont fait partie le port du masque généralisé. Beaucoup se sont déjà lancés dans la confection artisanale, individuelle ou en atelier, de masques réutilisables, parfaite barrière anti-gouttelettes. Ils ont l'énorme avantage qu'il n'en faut en tout que deux par personne !

    Nous savons que la transmission du virus se fait principalement par l'éjection de gouttelettes portant sur une distance d'un mètre, mais nous savons aussi aujourd'hui par différentes études que dans certaines circonstances (toux, éternuement, taux d'humidité et de chaleur) la projection peut aller plus loin. Nous savons par ailleurs que ce ne sont pas seulement les personnes qu’il faut protéger des projections de gouttelettes, mais aussi les surfaces et les denrées dans les magasins et les lieux publics que tout le monde fréquente.

    En plus du port du masque généralisé, nous avons besoin d’une réflexion critique sur les premières semaines de pandémie et sur les possibilités que l'expérience et le progrès scientifique apportent pour avancer vers un déconfinement partiel qui permettrait à la société civile de progressivement se reconstruire.


    Car il devient évident que le confinement atteint ses limites avec un appauvrissement dramatique et surtout une déshumanisation de la société : violences conjugales et sur les enfants, suicides, alcoolisme, sont en très forte hausse. Les ASBL d'intérêt social ont dû fermer (par exemple : groupes de sages-femmes s'occupant du suivi de grossesses et d'allaitement - le début de la vie -, et bien d'autres), laissant la population abandonnée à elle-même. Le suivit médical et chirurgical des maladies chroniques a été majoritairement supprimé dans les hôpitaux et en médecine libérale. Les médecins traitants et les familles ont été bannis des maisons de soins, entrainant le désespoir, la déshydratation et le décès des résidents, etc. etc.

    Les dégâts collatéraux sont en forte hausse pour des millions de citoyens. Il y a à ce jour 3600 décès dus à la pandémie. La moyenne d'âge, d'après les chiffres dont nous disposons, serait de 80 ans. Ainsi les complications toucheraient une majorité de personnes déjà en survie médicale, et une petite minorité souffrant de co-morbidités (entre autre l'obésité, très répandue aux USA où le taux de létalité explose), mais aussi d'une mauvaise hygiène de vie: l'alimentation (nourriture industrielle devenue le modèle alimentaire outre-atlantique), la déshydratation, l'épuisement et le stress (très répandus parmi le personnel soignant en première ligne...).

    Vous êtes certainement au courant de toutes ces choses, et de bien d'autres. Ainsi que de la nécessité que se constitue une immunité de groupe suffisante pour que s'arrête enfin l'épidémie. Pour ce faire, les personnes en bonne santé et sans facteurs de risque devraient pouvoir s'exposer un peu plus en reprenant leur travail.


    Mais entretemps, est-ce qu'un accompagnement du deuil et de l'acceptation de la mort ne devrait pas être mis en place pour toutes les familles touchées par les décès, que ceux-ci soient liés à la pandémie ou aux dommages collatéraux du confinement ?


    Je vous prie de croire, Madame la Première Ministre, Messieurs les Ministres-Présidents, en l'expression de mon plus profond respect.


    Dr Pierre Brihaye


  • Kim ENTEZARI

    23 avril 2020

    Excellent résumé
    Le plus pitoyable dans cette derniere demande de contrôle ...est le tempo
    Ces données seront de toute façon disponible dans 2 mois au travers des RCM et des facturations mutuelles. Quel intérêt de mettre une pression supplémentaire sur le personnel soignant en exigeant en moins de 48 h ces données...et quelle ingratitude de la part du politique
    Il est temps que le médecin reprenne son rôle dans la gestion des soins de santé et que les politiques se remettent en question.
    Je ne sais pas qui a eu cette initiative....mais c’est une honte ...

  • Charles KARIGER

    23 avril 2020

    Au fond, en tout bureaucrate sommeille un autocrate, un totalitariste pur jus. (Annah Arendt l'a clairement exposé).
    Comment leur répondre? Un mot russe: NJET.
    Mais quel pourrait être le but de cette agression?
    Privés de consultations, d’interventions et d'"actes" hors CoVid-19, les finances des cliniques s'enfoncent. Et elles couleront d'autant mieux que la privation de ces rentrées sera plus complète, plus totale.
    Ne serait-ce pas alors un bon moment pour pénétrer dans ces odieuses cliniques privées qui s'entêtent à survivre alors que tant d'établissements publics ont le droit de cultiver leurs déficits appuyées aux finances publiques? Et ensuite....? Au pas! A la botte!
    Vive les bureaucrates!

  • Serge DELVILLE

    23 avril 2020

    Lire Medical... pas médiatique (surtout pas)
    Merci les correcteurs automatiques

  • Serge DELVILLE

    23 avril 2020

    Bravoooooooooooo
    Le vendredi 17, après une nouvelle journée de dingue (normale depuis 5 semaines) à la lecture de cette missive de l’inami, je me suis couché avec des pensées suicidaires et samedi matin ne me suis réveillé avec des pulsions de meurtre !!!
    Cher JDT vous avez une fois de plus résumé l’état d’esprit d’une majorité du corps médiatique. Ne comptons que sur nous. La seule collecte de matériel de protection, je l’ai obtenue grâce à la commande organisée par l’ABSYM , ainsi que de généreux dépôts de patients et de confrères spécialistes au chômage technique. Mon activité : Medecin généraliste à temps plein depuis le 3 mai 1988.