Anesthésistes : « Nous ne voulons pas entrer en conflit avec le GBS»

L'association professionnelle des anesthésistes a décidé de ne plus faire partie du GBS à partir du 1er janvier 2025. Une démarche remarquée. Comment en est-on arrivé là ? Le président de l'APSAR-BSAR, Gilbert Bejjani, avait déjà donné des signaux d'alarme en ce sens. Le secrétaire Stefaan Carlier apporte des précisions dans un entretien avec Le Spécialiste. Le président Gilbert Bejjani contextualise ce processus.

"En tant que groupement de spécialistes, le GBS est censé défendre la médecine spécialisée et fixer certaines limites, comme le fait  la médecine générale et comme le font les autres professionnels de santé. Ce n'est pas toujours le cas."

"On attend aussi que cette défense de la médecine spécialisée soit équitable, entre et pour toutes les spécialités. Un arbitrage interne est donc nécessaire. Cet arbitrage peut également concerner les postes académiques et universitaires par rapport aux postes non académiques, ou d'autres postes similaires, et devrait être possible. Il n'aboutira peut-être pas toujours, mais nous devons créer l'espace nécessaire pour une discussion et éviter les blocages inutiles."

"Le groupe doit donc agir « en amont » pour certains débats, qui sont parfois bloqués ou qui entrent en conflit public avec les autorités du SPF Santé publique ou d'autres structures", soutient l'anesthésiste.

« Nous ne partons pas en claquant des portes", explique le Dr Carlier, "mais avec un certain mécontentement. Avec le nouveau président, Stan Politis, le GBS va probablement changer de cap. Mais nous voulons maintenant observer l'évolution du GBS depuis le banc de touche. Si le groupement évolue comme nous le souhaitons, nous n'excluons pas un retour. Un retour qui, il est vrai, sera loin d'être évident car le mécontentement est tout de même assez fort et en sommeil depuis bien longtemps. Gilbert Bejjani est notre président depuis trois ans, mais la possible sortie du GBS date de l'époque où j'étais moi-même président."

"Pour nous, le GBS est une sorte de « holding » de diverses associations professionnelles qui défendent toutes des intérêts propres et souvent contradictoires. Lorsque nous voulons lancer des projets d'amélioration de la qualité, comme un titre professionnel de niveau 3 en algologie, par exemple, nous rencontrons plus d'opposition de la part du GBS que de coopération de la part des autres disciplines. Certaines disciplines prétendent avoir une formation complète en algologie dans le cadre de leur formation de base. Les autres disciplines qui sont membres du groupe de travail initital s'opposent pour différentes raisons à ce projet. Curieusement, seuls quelques médecins généralistes nous soutiennent pleinement lorsque l'affaire est portée devant le Conseil supérieur, et ce en raison de l'amélioration de la qualité qui en découle. C'est un exemple qui montre que nous sommes parfois diamétralement opposés aux autres ».

Le Dr Gilbert Bejjani précise aussi qu’il y a énormément de dossiers où le GBS, holding des associations professionnelles, aurait pu s’impliquer au nom des spécialistes, notamment les hospitaliers mais ne l’a pas fait ou pas assez. Citons quelques exemples, comme la gestion de l’échange des données médicales, qui est aujourd’hui gérée uniquement par les médecins généralistes et les hôpitaux, ou plutôt leurs directions, sans que les spécialistes soient impliqués et d’ailleurs les spécialistes extrahospitaliers en sont complètement exclus. Quand on sait la place qui sera donnée aux « data » comment imaginer qu’aucune structure de spécialistes ne soit associée.

Cotisations des membres

« A cela s'ajoutent les cotisations des membres. Nous versons au GBS un montant par membre de notre association. C'est une part disproportionnée. Le montant total des cotisations du GBS s'élève à environ 600.000 euros par an. Sur cette somme, nous versons 120.000 euros. Cela devrait nous donner un droit de décision correspondant, ou un droit de vote correspondant au sein du conseil d'administration. Quod non. Nous avons autant à dire au sein du GBS qu'une association professionnelle qui paie environ 20.000 euros par an. Il faut être cohérent : changer la participation ou faire en sorte que toutes les associations professionnelles paient le même montant."

 « Ce qui nous dérange aussi beaucoup, c'est que nous n'avons pas notre mot à dire dans la représentation au sein d'autres organes tels que le Conseil supérieur. Les délégués y sont dirigés par les syndicats et le GBS. Lorsque je soulève le problème de notre sous-représentation (alors qu'environ 10 % des spécialistes sont des anesthésistes), on me répond que les gens du Conseil supérieur représentent tout le monde. Mais c'est de la pure théorie. Lors de l'introduction de la loi sur la qualité, plusieurs disciplines ont demandé des modifications afin de pouvoir également pratiquer la sédation, en tenant compte du risque qu'elle évolue vers une sédation profonde, qui équivaut en fait à une anesthésie générale. Ensuite, les recommandations du Conseil supérieur ont décidé qu'il est permis, par exemple, au non-anesthésiste de donner une sédation sans conditions, telles qu'un suivi par une personne compétente, même si nous soutenons que la limite peut être atteinte très rapidement et de manière inaperçue avec une sédation profonde. La sédation profonde n'est qu'un des dangers de l'anesthésie car il n'y a pas de protection des voies respiratoires. Ce n'est pas pour rien que nous avons reçu une formation de cinq ans ! Jusqu'à présent, le GBS n'a pas réussi, en cas de discussions sur l'algologie, par exemple, à les résoudre dans le giron du GBS lui-même avant qu'elles n'atteignent le niveau du Conseil supérieur ou du Cabinet du ministre. D'ailleurs, le Cabinet adopte une position beaucoup plus logique que le GBS  en ce qui concerne la loi sur la qualité.

"En mai de cette année, notre conseil d'administration a décidé à l'unanimité de soumettre la question du retrait du GBS à l'Assemblée générale, qui l'a approuvée à l'unanimité et qui a donc décidé de quitter le groupement. Celle-ci a approuvé la position à l'unanimité et nous allons donc suivre notre propre voie sans couper les liens avec le GBS à 100 %. Nous ne voulons pas entrer en conflit avec le GBS."

Des garanties solides

« Qu'exigeons-nous concrètement du GBS ? Une réorganisation au niveau de son fonctionnement, entre autres en ce qui concerne la défense des spécialités vis-à-vis de l'extérieur : des médecins généralistes, des paramédicaux, etc. Si le GBS  répond à nos doléances, nous pourrons envisager de redevenir membres. Mais ce n'est pas pour demain. Nous devrons obtenir plus que des garanties fermes. Nous ne sommes d'ailleurs pas les premiers à quitter la GBS. Les dermatologues l'ont fait il y a plusieurs années et semblent très satisfaits de leur départ. De manière informelle, nous entendons dire que d'autres spécialités au sein du GBS envisagent de prendre une décision similaire. »

« Pour le GBS, il s'agit d'une perte importante : le nombre de ses membres, qui diminue chaque année, chute soudainement. En revanche, le nombre de nos membres ne cesse d'augmenter. Lorsque je suis devenu président, notre association professionnelle comptait 620 membres. Au cours des six années suivantes, nous avons porté le nombre de nos membres à près de 1.000 (988). En raison de notre décision, le GBS  passera de plus de 6.000 à plus de 5.000 membres. Cela peut être considéré comme un signal pour le GBS », estime le Dr Carlier.

« Le GBS a-t-il encore le droit d'exister en tant qu'organisation faîtière regroupant différentes spécialités aux intérêts divers ? Je pense que oui. Domus Medica défend parfaitement les intérêts des médecins généralistes, même si les différences internes ne sont pas si grandes. L'envoi de représentants du GBS  au Conseil supérieur ou au Cabinet devrait être possible de manière normale, logique et cohérente. Ce n'est pas le cas dans les affaires décrites plus haut. Je trouve révélateur qu'au Conseil supérieur les médecins généralistes aient été les seuls à se ranger entièrement de notre côté pour que le titre professionnel d'algologue soit un gage de qualité.»

Le Dr Gilbert Bejjani rajoute qu’il est aussi attendu d'un groupement de spécialistes, de revendiquer équitablement la défense des intérêts de la médecine hospitalière et de la médecine spécialisée ambulatoire, notamment dans des dossiers qui concernent la rémunération ou l'organisation de la continuité des soins et des gardes. 

« Nous sommes convaincus qu'une rupture est parfois nécessaire pour amener une réflexion et peut susciter une remise en question de la part d'autres associations qui peut-être se posent les mêmes questions que nous. Nous restons convaincus que des réformes ou des ajustements internes sont toujours possibles pour rétablir la cohésion du groupe à l'avenir ", conclut le président de l’Apsar.

Lire aussi: L'association professionnelle des spécialistes en anesthésie et réanimation quitte le GBS

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