J. de Toeuf : "Le ministre a toujours pensé que les spécialistes gagnent bien assez"

Dans les prochaines semaines, un nouveau ministre de la Santé (à moins que Frank Vandenbroucke ne soit reconduit) devra prendre des décisions importantes pour l’avenir des soins de santé. En attendant, l’heure est au bilan de ce second mandat de Vandenbroucke. Jacques de Toeuf fait un état des lieux des points forts et des points faibles du ministre Vooruit.

« Le ministre Frank Vandenbroucke a réalisé de très bonnes choses et d’autres nettement moins bonnes, même s'il a réalisé son programme. » Le Dr Jacques de Toeuf, de l’Absym, connaît depuis longtemps le ministre fédéral de la Santé : « Son côté désagréable, c’est qu’il est comme Macron, il pense qu’il a raison... et après, il ne vous reste qu’à vous taire et à exécuter. En réalité, il écoute mais il n’entend pas. » Sur le terrain, cette obstination peut avoir un bon côté, mais aussi provoquer « un découragement des partenaires et un manque d’appropriation des projets par les personnes qui doivent les mettre en œuvre. »

Les points positifs

Que retenir de bon pour le secteur de la santé ? « Il a pu avancer pour les professions non médicales : refinancement des kinés, des logopèdes, les plus de 400 millions dégagés en santé mentale, le financement des psychologues... Ces mesures sont légitimes et vont améliorer la santé de la population. »

La première ligne intégrée démarre comme on peut le voir avec le New Deal. La mise en place se fait avec une lenteur certaine : « C’est une bonne chose, mais je déplore que le modèle choisi est un modèle avec des forfaits, qui ne permet pas aux autorités de savoir qui fait quoi… en réalité, tout cela est trop calqué sur le modèle des maisons médicales. Le ministre aurait pu mettre plus l’accent sur le travail en réseau ou en collaboration commune. En fait, je pense que cette démarche trahit la méfiance envers la pratique libérale (au sens libre) des métiers de santé. »

L’impact de l’enveloppe fermée sur les médecins

Le manque de moyens financiers a eu un impact sur les médecins : « Il n’y a pas eu de compléments aux budgets de l’assurance-maladie. Quand on travaille dans une enveloppe fermée, ce que l’on donne à l’un, on le prend à l’autre. Il a pris beaucoup d’argent aux médecins, notamment avec les montants gelés qui, en réalité, étaient des marges disponibles et qui ont été rendus non dépensables. »

Le Dr Jacques de Toeuf rappelle que les marges disponibles se trouvaient dans un budget légalement défini (normes de croissance plus index). « Nous comptions sur la marge pour financer de nouvelles opportunités et mieux payer des prestations sous-payées. Cela n’a pas été possible. »

Évidemment, un autre point négatif est l’absence de nuance à propos du dossier des suppléments d’honoraires « qui a été mené sans écoute du secteur et sans équilibre ».

Manque de respect

Il pointe également le non-respect des engagements pris : « Il faut se souvenir de la saga au Conseil général où il décide de donner 100 millions de primes pour encourager les soignants à se conventionner… et puis, il y a un changement. À la fin, les spécialistes n’ont rien… »

Le financement hospitalier à l’arrêt

Le travail du ministre de la Santé n’a pas non plus abouti sur les deux réformes qu’il voulait porter : la réforme du financement hospitalier et la réforme de la nomenclature (ces deux chantiers ont été démarrés par De Block). « Sa proposition de réforme du financement hospitalier est quasi infaisable vu la structure des données comptables et analytiques. Là, il s’est laissé convaincre trop facilement par les gestionnaires d’hôpitaux pour que le système ne change pas. »

Le Dr Jacques de Toeuf appelle aussi à la vigilance sur un autre dossier : « Il a voulu mettre la part des coûts de production des honoraires dans le BMF, même si ce n’est pas encore fait. C’est une erreur fondamentale de conception de l’utilisation des moyens. Si vous mettez les budgets de frais de production dans le BMF, le gestionnaire fait ce qu’il veut du BMF (il peut attribuer les moyens comme il veut). Ces moyens n’iront pas nécessairement vers le secteur médical. On en a d’ailleurs un exemple clair avec les moins 15% en biologie clinique. »

Les spécialistes sont oubliés

Si les hôpitaux ont reçu 2 milliards d’aide financière pendant la crise COVID, rien n’a été fait pour le secteur ambulatoire à part la prime de 162 millions pour le DMG généraliste. « Les spécialistes n’ont rien reçu du tout. Il faut le rappeler. »

Pour lui, le ministre continue à penser que les spécialistes gagnent bien assez. « Ils sont de plus en plus nus sur leur radeau. »

L’avenir des infirmiers

Enfin, il était essentiel de diversifier les métiers. « L’assistant infirmier va augmenter l’attractivité avec des formations de 3 ans. Évidemment, le ministre n’aurait pas dû embrayer sur l’infirmier de pratique avancée : on pouvait déjà compter sur les infirmiers spécialisés. Je pense que ce n’est pas complètement adapté aux besoins. »

Par contre, le fait d’avoir élargi la palette des actes répond à une demande. « Beaucoup de généralistes le demandaient aussi. Il faut cependant anticiper le risque que chaque profession reste dans son coin... et que cela n’amène pas tous les acteurs à mieux travailler ensemble. »

Enfin, pour lui, il reste deux écueils : « Tout d'abord, l’informatique et les logiciels professionnels ne sont pas du tout prêts pour le partage de dossiers et le fonctionnement multidisciplinaire du secteur de la santé. Par ailleurs, 90% des patients vus en pratique médicale n’ont pas besoin de soins multidisciplinaires à court terme ou à long terme. C’est un aspect qu’il ne faut pas oublier. »

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Derniers commentaires

  • Erik FRANCOIS

    19 juin 2024

    Nombre de mesures prises sont contre-productives: coûteuses pour les médecins, pour l'INAMI, et réduisant l'accès aux soins. Dommage que ce ministre soit motivé par son idéologie et ses démons personnels, dont un mépris (voire pire) envers le corps médical. In fine le patient est grand perdant. Et bien entendu, il sera reconduit à son poste.

  • Veronique De Blay

    18 juin 2024

    On ne crée pas un accord médico- mutualiste pour s’assoir dessus en définitive !

  • Jean-Paul MISSON

    18 juin 2024

    Mettons le patient au centre des discussions

  • Jean-Paul MISSON

    18 juin 2024

    Et si plutôt que de parler, reparler et reparler encore de budget on se mettait à parler de la santé des patients. Car in fine ce qui compte réellement ce sont les soins et les services qui sont apportés aux patients et à la population. L'objectif d'un bon ministre doit être améliorer les services rendus aux gens Si pour cela on a besoin de plus de sous, taxons plus forts les articles qui coûtent à la santé - Tabac, alcool,