Le Dr Philippe Leroy, futur directeur des Cliniques universitaires Saint-Luc, dresse un constat sévère sur l'état du système de santé en Belgique. Il appelle à une refédéralisation des compétences et à une réforme du financement hospitalier pour favoriser l'innovation et la collaboration.
Après 6 ans en tant que CEO du CHU Saint-Pierre, le Dr Philippe Leroy prendra, à partir du 14 octobre, la direction générale des Cliniques universitaires Saint-Luc, succédant à Renaud Mazy, parti travailler en Australie. Alors que les négociateurs de l’Arizona se penchent sur l’avenir des soins de santé, il livre une analyse sans concession du secteur hospitalier.
La question de la norme de croissance est au cœur des négociations politiques. Est-ce la bonne manière de garantir l’avenir des soins de santé ?
Le vrai débat ne réside pas dans la norme de croissance. Il est impératif de réfléchir à une vision d’un système de santé performant pour 2040-2050, tenant compte de l’évolution démographique, des maladies, des techniques et des traitements. Réduire le débat sur l’avenir des soins de santé à une simple question de coût rend difficile toute discussion sur le sens même des soins.
Quelle serait votre approche ?
Arrêter le morcellement des compétences, car cela empêche tout changement de vision.
Comment adapter au mieux le financement aujourd’hui ?
De nombreuses règles de financement des soins de santé freinent les collaborations. Par exemple, nous avons voulu mettre en place, au CHU Saint-Pierre, un projet ambitieux de désengorgement des urgences, visant à réduire de 20 % la fréquentation en réintégrant ces patients dans une filière de première ligne avec les généralistes. Nous souhaitions collaborer avec les associations de généralistes, car nous ne voulions pas créer un département de médecine générale au sein de l’hôpital. Nous avons sollicité un projet pilote auprès des autorités pour maintenir notre financement, malgré la baisse d’activité prévue aux urgences (ce qui était l’objectif !), en expliquant que tout le monde y gagnerait. Pendant des mois, nous avons fait face au système kafkaïen de la « lasagne institutionnelle ». Aujourd’hui, notre projet est en place, mais il sera réalisé « à perte ». Le système ne devrait pas nous imposer ce genre de dilemme, mais plutôt favoriser la collaboration entre acteurs.
Les autorités manquent-elles d'une vision transversale ?
Elles n'en ont pas du tout. Chacun se concentre uniquement sur son domaine de compétence.
Faut-il tout refédéraliser ?
Une enquête réalisée auprès d’une centaine de directions hospitalières en Belgique juste avant la crise du Covid a révélé que 90 % des directeurs d’hôpitaux étaient favorables à une refédéralisation complète de la santé. Les réponses étaient similaires au Nord comme au Sud. Je ne critique en aucun cas les compétences des personnes dans les différents niveaux de pouvoir, mais il est absurde de scinder la prévention et les soins curatifs entre deux niveaux de pouvoir distincts.
Que devrait faire le gouvernement pour réduire la charge administrative ?
C’est l’un des plus grands défis de notre secteur. La « lasagne institutionnelle » ne nous aide pas, car chaque niveau produit ses propres normes. Chaque norme, prise isolément, a sa pertinence, mais une fois toutes réunies, plus personne ne s’y retrouve. Il est nécessaire de simplifier tout cela. De plus, cela représente un coût pour les hôpitaux : nous devons recruter de plus en plus de personnel non soignant. Les autorités doivent urgemment avoir une vue transversale de toutes les normes et directives.
Faut-il prévoir un budget spécifique pour la cybersécurité ?
Nous sommes dramatiquement sous-financés. Nos budgets ne couvrent même pas un tiers de nos coûts réels. Il est urgent de réformer tout le système ! Nous devrions pouvoir utiliser nos enveloppes financières pour atteindre les objectifs fixés aux hôpitaux (santé publique, qualité...). Actuellement, nous sommes plutôt micromanagés par les autorités de contrôle, ce qui freine énormément l'initiative et le progrès.
Que proposez-vous ?
Les budgets sont trop fragmentés en une multitude de petites enveloppes. Je souhaiterais avoir des enveloppes plus globales, permettant de développer des projets spécifiques à chaque hôpital, adaptés à nos besoins et à notre réalité sur le terrain. Ce carcan budgétaire nous empêche d’innover et ralentit la mise en place de changements importants. C’est l’une des raisons de notre retard en matière de soins ambulatoires.
Une telle évolution améliorerait-elle vraiment le système ?
Il est possible d’instaurer des contrats d’objectifs avec des pénalités en cas de non-réalisation des objectifs. C’est ici que le politique a un rôle à jouer, en fixant une direction, une vision, et en évaluant les résultats. Souvenez-vous du débat sur le nombre de machines IRM. À quoi bon avoir une administration, aussi compétente soit-elle, qui tente de planifier centralement le nombre d’IRM ? Il faudrait permettre aux hôpitaux d’assumer pleinement le risque de leurs propres investissements, lorsqu’ils jugent un achat nécessaire à la qualité des soins dans leur région.
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